Années Giscard d'Estaing: Un pot de yaourt - tribune libre

(parue dans Le chiffon rouge - PCF Morlaix/Montroulez)

Par Alain Bergeot membres du Bureau National de République et Socialisme

Il m’a semblé naturel, d’attendre avant de livrer ce papier, juste une question de respect dû aux morts.

Maintenant que l’effervescence autour du décès de l’ancien président de la République est retombée, j’ai envie de revenir, sans dithyrambe, sur ces années Giscard, que je qualifierai de belles, forcément, puisque ce sont les années de ma jeunesse !

Je ne reviendrai donc pas ici sur les réformes (positives) que toute la classe politique et journalistique a recensées : N’en jetez plus ! la cour est pleine ! Et, comme chantait Brassens : « Il est joli le temps passé

Une fois qu’ils ont cassé leur pipe, on pardonne à ceux qui nous ont offensés. « Les morts sont tous des braves types »

Ils « oublient », tous ces panégyristes, que toutes ces réformes ne sont que le reflet des luttes sociales, sociétales et féministes des années antérieures. En somme, le rapport de forces entre le capital et le travail.

En effet, l’ombre de mai 68 plane encore au mitan des années 70 et l’onde choc du printemps 68 qui a ébranlé la société française continue de se propager. C’est aussi dans l’esprit du nouveau président élu (50,81%) :

« Giscard a l’intelligence de s’adapter et de prendre l’air du temps » remarque le journal « l’Humanité ».

Il va donc desserrer le carcan de cette société française sclérosée et mettre fin à cet anachronisme sociétal, en faisant voter, souvent grâce aux voix des députés de la gauche, un certain nombre de réformes importantes.

Est-ce cela qu’il voulait dire lors de l’annonce de sa candidature avec cette fameuse formule : «  Je veux regarder la France au fond des yeux » ?

De l’irrésistible ascension à la chute vertigineuse :

Du «Oui, mais » lancé au général De Gaulle, deux mois avant les élections législatives de 1967, alors ministre des finances au « non » au référendum sur la décentralisation, en 1969 « le jeune surdoué » tisse sa toile…

Enfin… jeune, bien sûr, surdoué, c’est discutable !

En fait les mauvais coups giscardiens ont commencé avant qu’il ne devienne président. Et à propos de mauvais coup, impossible d’oublier le très mauvais coût pour l’économie de la France du fameux emprunt Giscard.

Coût des 6,5 milliards empruntés sur 15 ans. En intérêts et capital l’Etat a dû rembourser entre 76 et 90 milliards de francs !!!

La France giscardienne, c’est le néo-libéralisme institué en religion, avec pour corollaire son cortège de politiques de rigueur et toujours plus d’austérité pour les travailleurs , obligés de s’adapter toujours plus à la loi du marché, entraînant des abandons de souveraineté toujours plus conséquents. Une politique de casse pour laquelle Raymond Barre, .1er ministre et « meilleur économiste de France » excelle : Casse de l’ORTF, casse de la sidérurgie, casse de l’industrie textile, laissant des régions entières dévastées, terres de conquêtes du FN.

La grande grève des PTT d’octobre-novembre 1974, ma première grève, sa puissance et sa durée mettra un coup d’arrêt à leur projet de casse de ce grand service public. Finalement, les socialistes avec la loi Rocard-Quilès du 02 juillet 1990, auront la peau de l’un des plus anciens Services Publics, mais, cela est une autre histoire…

De Jean Monnet à la monnaie unique en passant par la création, en 1978, avec Helmut Schmidt du SME (Système Monétaire Européen), prélude à la monnaie unique, Giscard l’européen, est récompensé et sera nommé président de la Convention chargée d’élaborer une Constitution européenne en 2001, suite logique du Traité de Maastricht. Constitution qui grave dans le marbre « la concurrence libre et non faussée ».

Mais l’homme du « oui, mais » au « Non » à De Gaulle va, de février 1981 à mai 2005, finalement, incarner le « NON » sur sa personne.

D’abord le « Non » à sa réélection en mai 81, y compris pour une partie de son camp. Chirac. « L’homme du passif», selon François Mitterrand, ne se remettra jamais de cet échec. Dans un entretien au journal « Le Monde » le 10 mai 2001, il confesse : « Disons la vérité, je n’avais jamais envisagé ma défaite »

*Dernière amertume : le « Non » des Français, à plus de 55 % au référendum du 29 mai 2005, sur le projet de Traité Constitutionnel.

Que restera t-il des années Giscard ?

Dans son hommage « Le Figaro » du 04 décembre 2020 ose écrire «  Nos tendres années Giscard ».

Pour ma part, je n’ai pas la mémoire qui flanche, et je ne puis oublier que son début de septennat est très vite entaché. Entaché de sang. Le modernisme du 3ème président de la V ème République s’arrête aux marches de l’échafaud dressé dans la cour de la prison des Baumettes. Le 28 juillet 1976, jour de mon anniversaire, la tête de Christian Ranucci roule dans le panier d’osier. Ce qui me conduira, cinq ans plus tard à voter, au deuxième tour, pour François Mitterrand. Je l’avais tellement trouvé sincère, le 16 mars 1981, quand il répond à Alain Duhamel : « Dans ma conscience profonde, je suis contre la peine de mort, et je n’ai pas besoin de lire les sondages qui disent le contraire ». Je ne suis pas un déçu de Mitterrand, il a tenu la promesse pour laquelle j’ai voté pour lui !

Son septennat est aussi entaché d’autres morts violentes Jean de Broglie, Robert Boulin et Joseph Fontanet, Trois ministres, dont un en exercice.

Et, sur ce registre de ses ministres :

Comment oublier son ministre du budget, un certain Maurice Papon, organisateur de la déportation de juifs sous Vichy ? Comment oublier nos camarades morts au métro Charonne ?

*Comment oublier son sinistre ministre de la justice (de classe) Alain Peyrefitte et sa loi liberticide « sécurité et liberté » ?

Comment oublier son brutal ministre de l’intérieur, Michel Poniatowski qui, en août 1975, envoie l’armée en Corse pour une histoire de cave viticole occupée illégalement. En ordonnant l’assaut, au cours duquel deux gendarmes sont tués, il enclenche alors la violence armée sur l’île.

Ce prince, aussi partisan d’alliances avec le Front National. Bien loin de la poésie du « Petit Prince »

Le 24 janvier 1978, sur la chaine « TF1 » Charles Fiterman, N° 2 du Parti Communiste, et futur ministre d’Etat du gouvernement de Pierre Mauroy, révèle que les 22 milliards du « programme de Blois » annoncés à grand fracas, correspondent, après une simple opération de division, à un pot de yaourt par jour et par personne jusqu’en 1983, Du coup, l’opération… de communication des promesses que faisaient miroiter Giscard d’Estaing et Barre aux Français, avaient de quoi les laisser sur leur faim !

La victoire en trompe l’œil de la droite aux élections législatives de mars 1978 aura renforcé son arrogance, sa suffisance, ses manières de roi (il ira jusqu’à changer le rythme de la Marseillaise, et tentera de supprimer le 08 mai). Trop de choses séparent celui que « Le Canard Enchainé » a surnommé Louis XV, et les Français. L’affaire des diamants achève de consommer le divorce, qui, ironie du sort, ne sera pas par consentement mutuel.

Celui qui incarne désormais le vieux monde, va devenir « le mal aimé des Français ». Et le destin de Giscard est scellé le 10 mai 1981

Pour conclure, Giscard ? «  BILAN GLOBALEMENT NEGATIF »

Alain BERGEOT